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19 avril 2007

II - Le miroir

II. Le miroir :

Si l’on considère que l’âme est portée par le visage, on peut penser que l’autoportrait est une illustration de cette âme. Notre regard de spectateur est automatiquement attiré par les yeux. D’ailleurs, le regard chez Artaud est traité avec force, c’est un regard rempli de vide et d’anxiété, un regard qui illustre sa vision du monde.

« Pour lancer ce cri je me vide.

Non pas d’air, mais de la puissance même du bruit. Je dresse devant moi mon corps d’homme. Et ayant jeté sur lui « l’œil » d’une mensuration horrible, place par place je le force à rentrer en moi. »

(Artaud)

Les yeux représentent l’âme. Ils en sont en quelque sorte les miroirs.

(Page 147 SOURIAU)

Le regard est une action, une manière de diriger les yeux vers un objet, afin de le voir. Les yeux donnent une direction aux pensées, c’est en eux que peut se traduire l’agitation intérieure. Le regard d’Artaud, pourtant dirigé vers nous semble s’interroger sur quelque chose de propre à lui-même. L’expression des yeux révèle un état d’âme, des sentiments propres à chacun. En regardant les autoportraits tourmentés d’Artaud, c’est à nos propres sentiments que nous sommes confrontés. Les yeux et le regard créent une force attractive, une fascination.

C’est par là que passe l’interaction entre le regard du spectateur et le regard qui nous fait face dans l’autoportrait.

Les yeux donnent toute leur force aux expressions du visage. Ce sont eux qui agissent sur nous. Ils tissent des liens entre le spectateur, l’œuvre et l’artiste.

L’autoportrait est la représentation que l’artiste a de lui-même, il porte un regard sur sa personne. Il se fait face à lui-même. C’est ce qu’il accepte de nous montrer, de nous livrer. L’exposition permet de mettre en relation d’autres vis-à-vis avec le spectateur. Celui du spectateur face à l’œuvre, à l’autoportrait, qui serait le reflet de la conscience intérieure de l’artiste. Puis, celui de l’artiste lui-même, mis en regard avec le spectateur.

Et, c’est parce qu’il y a eu un premier échange de regard entre l’artiste et son autoportrait que l’échange avec le spectateur peut être aussi vivant. En effet, l’inquiétude que nous lisons souvent dans les regards des autoportraits d’Artaud nous renvoie à nos propres inquiétudes. Les autoportraits d’Artaud seraient aussi des jeux de miroirs de la relation qu’il avait avec ses psychanalystes.

Ces faces à face sont soulignés par la scénographie de la salle, avec la présence de miroirs à hauteur de buste, derrière certaines cimaises. Le miroir reflète ce que nous sommes extérieurement, mais dans ce contexte, avec les autoportraits, c’est à un reflet plus profond qu’ils nous renvoient. Le miroir met face au vivant, en opposition au statique. C’est un face à face avec la conscience intérieure d’Artaud, et par les miroirs, c’est à un face à face avec notre propre image intérieure auquel nous sommes confrontés.

Les miroirs reflètent les autres œuvres mais aussi les autres visiteurs, ce qui renforce l’impression d’être plongé dans un univers particulier. Le miroir fait sortir de l’individualité pour accéder à une autre altérité radicale. L’idée du double apparaît ici comme essentielle. D’ailleurs, pour Artaud, le théâtre double la vie, à l’instar de ces miroirs et de ces autoportraits. Cette duplication mise en regard accentue la théâtralité de ce dispositif. « […] si le théâtre double la vie, la vie double le vrai théâtre. […] la métaphysique, la peste, la cruauté, le réservoir d’énergies que constituent les mythes, que les hommes n’incarnent plus, le théâtre les incarne. Et par ce double, j’entends le grand agent magique dont le théâtre par ses formes n’est que la figuration, en attendant qu’il en devienne la transfiguration.(Artaud, dossier pédagogique)

C’est sur la scène que se constitue l’union de la pensée, du geste, de l’acte. Et le double du théâtre c’est le réel inutilisé par les hommes de maintenant. »

Chaque autoportrait incarne un état d’âme, comme des acteurs pourraient incarner des personnages. La présence des visiteurs va alors activer la théâtralité du lieu.

Les miroirs rendent notre propre double présent dans l’espace. Nous faisons partie intégrante de cette scène. Et, chaque élément fait exister une interaction, une union. Les autoportraits sont des sortes de double d’Artaud, comme une image métaphysique, sorte de spectre plastique jamais achevé.

« Le spectateur qui vient chez nous saura qu’il vient s’offrir à une opération véritable où non seulement son esprit, mais ses sens et sa chair sont en jeu […] Il doit être bien persuadé que nous sommes capables de le faire crier. »

(Artaud, dossier pédagogique)

Ce qui nous touche, dans ce face à face, c’est que la ressemblance a laissé place à la douleur intérieure. Il engendre un passage de l’autre côté du miroir, du regard, de la folie, vers l’infini de l’œuvre, de l’esprit.

Cette exposition nous permet de mieux appréhender l’univers d’Antonin Artaud. Il nous est présenté aujourd’hui avec un regard très contemporain, alors que son œuvre date de plus de 50 ans. On peut se demander si son avance sur son temps peut être considéré comme un point de départ pour l’art contemporain.

«  Allons, je serai compris dans dix ans par les gens qui feront aujourd’hui ce que vous faîtes. Alors on connaîtra mes geysers, on verra mes glaces, on aura appris à dénaturer mes poisons, on décèlera mes jeux d’âme.

Alors tous mes cheveux seront coulés dans la chaux, toutes mes veines mentales, alors on percevra mon bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau.

Alors on verra fumer les jointures des pierres, et d’arborescents bouquets d’yeux mentaux se cristalliseront en glossaire,

Alors on verra choir des aérolites de pierres,

Alors on verra des cordes,

Alors on comprendra la géométrie des espaces,

Et on apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit,

Et on comprendra comment j’ai perdu l’esprit. »

(Artaud)

Tout cela nous pose la question de la représentation du visage aujourd’hui, que ce soit en art ou au théâtre. Ce personnage aux multiples facettes nous permet de nous interroger sur la pluridisciplinarité et les nouvelles technologies qui envahissent les scènes et tout autre lieu artistique.

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