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Portraits d'Acteurs
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24 avril 2007

Partie II

 Après avoir étudié les caractéristiques de la perception et de l’expression du visage sur scène, nous allons étudier les différentes images des « monstres sacrés », c'est-à-dire tous les moyens dont disposaient les spectateurs de l’époque pour être confrontés au visage de ces acteurs. Dans cette partie nous parlerons beaucoup de Sarah Bernhardt et n’attribuerons qu’une place médiocre à Mounet-Sully. Comme il n’est plus de ce monde, il ne nous en voudra pas mais j’en suis cependant désolée. Cela tient au fait que Sarah Bernhardt nous a laissé une abondante source iconographique, ce qui n’est pas son cas.

 

1- La photographie et le portrait : quelques repères historiques

 L’avènement de la photographie est attesté en 1839, même si la première photographie du monde a été réalisée en 1822 par Niepce C’est pourtant Daguerre qui est considéré comme l’inventeur de la photographie, lorsqu’il publie en 1839 une brochure décrivant les procédés photographiques. Le portrait constitue 80% de la photographie au XIXème siècle, en ce qui concerne la photographie de théâtre, il s’agit de 100%. La cause est due aux conditions techniques qui font que le photographe est obligé de rester en atelier.

 Le daguerréotype est le premier support de la photographie. Dans les débuts de la photographie, poser pour une photographie était très éprouvant. Le temps de pose était de vingt minutes, pouvant être réduit à dix minutes en été et en plein midi. La chaleur était intense car, pour les besoins d’une luminosité extrême, les ateliers étaient situés sous les toits. En 1895, le temps de pose était réduit à 1/1OOOème de seconde. Le daguerréotype avait l’inconvénient de ne pas être reproductible. Ce n’est qu’en 1847-48 que le calotype fut inventé par Fox Talbot. A partir d’un négatif, on produisait plusieurs épreuves. En 1851, Le Cray, Fry et Archer inventèrent le procédé du collodion humide, qui entraîna la disparition de tous les autres procédés. Les clichés étaient imprimés sur du verre. Celui-ci a l’avantage d’avoir une sensibilité plus grande et produit des épreuves beaucoup plus nuancées où le grain est moins visible. Ce procédé est caractéristique de la grande époque des portraitistes : Nadar, Carjat, Reutlinger. Enfin en 1880, le papier au gelatino-bromure d’argent est inventé. Il ouvre l’ère de la photographie moderne en permettant l’impression et l’agrandissement  à la lumière artificielle. La découverte de l’électricité permet des prises de vues le soir et même la nuit. Dans le même temps, les obturateurs sont améliorés. La photographie devient instantanée.

 La première clientèle de la photographie est la bourgeoisie. La photographie était alors un moyen de valorisation sociale, un peu comme le portrait d’apparat en peinture, auparavant destiné à la noblesse. En effet, l’époque est à la classification. Etre classé dans une catégorie est un symbole de reconnaissance sociale dont le portrait est le garant.  Dès les années 1850, apparaît alors un nouveau lieu mondain : l’atelier du photographe. Situés dans le prolongement ouest du boulevard du Crime, où sont situés de nombreux théâtres, les ateliers sont donc liés au monde du spectacle. La pose était au départ très longue et éprouvante. Le modèle devait rester immobile, il disposait pour cela d’un appui-tête. Disderi est l’inventeur de la célèbre formule : « Ne bougeons plus ! ». L’atelier d’un photographe est alors un lieu très étrange, c’est un bric-à-brac d’objets servant d’accessoires ou de décor. Des écrans blancs modulent l’éclairage. Il y a des vapeurs d’éther et d’alcool, dues au procédé du collodion humide et une forte odeur de souffre.

 La photographie des acteurs de théâtre est une valeur sûre pour les photographes. 37 % de la production de Disdéri est constitué de portraits d’acteurs. Il s’agit de 80 % pour celle de Nadar ou de Reutlinger.

 

2- Les photographies de théâtre ou « la mémoire de l’éphémère »

 Jean-Pierre Banu différencie les poses de Sarah Bernhardt des postures. Selon lui, les poses relèvent d’une vision éternelle de femme, les postures quant à elles témoignent des codes de jeu qu’elle utilisait. Les postures relèvent de la photographie de théâtre, les poses non.

 Il existe de nombreuses photographies de Sarah Bernhardt en « personnage » ; il en existe également pour d’autres comédiens mais la proportion est incomparable.

 « Le portrait d’acteur en costume tente de reconstituer l’essence du personnage. Le rôle est ainsi réduit à une expression de visage, et à une attitude qui permettra de l’identifier immédiatement. »[1] L’acteur se présente en costume. Il choisit l’attitude et l’expression qu’il veut associer à ce personnage. Cela nécessite un travail préalable sur le sens de la pièce et du personnage. En fait, il s’agit quasiment d’un choix de mise en scène. L’acteur donne en effet, sa perception du personnage et de la pièce par une attitude, une expression du corps et du visage, à laquelle il identifie le rôle. Celui qui regarde la photo doit à la fois pouvoir reconnaître le personnage et percevoir l’émotion ainsi traduite. L’attitude et l’expression sont en quelque sorte la légende de la photographie. Cette conformité entre caractère et gestuelle est caractéristique du XIXème siècle. Jules Lemaître parle d’attitudes outrancières. En effet, il s’agit de reconnaître un « personnage ». En quelque sorte, on peut dire que ce n’est pas Sarah Bernhardt qui est prise en photo mais bien Dona Sol ou Phèdre.

 Lors de ces séances photo, l’acteur est comme au théâtre : le maître absolu de l’image qu’il veut donner de lui.  « L’interprète avait la latitude de choisir lui-même le moment de l’action dramatique où il voulait être représenté et d’adopter les attitudes, gestes et expressions qu’il jugeait aptes à le mettre en valeur et à exprimer sa conception du rôle ; …l’interprète avait la possibilité de se faire photographier dans un même rôle autant de fois qu’il le désirait, en variant les moments de l’action dramatique, le photographe pouvant, de son côté, changer les éclairages et même les éléments décoratifs environnants. »[2]

 La photographie de théâtre a alors valeur de document, elle est là pour restituer un temps du spectacle. Mais Sarah Bernhardt s’en servait aussi pour travailler ses rôles, étudier l’effet d’une coiffure, du mouvement d’un tissu. Les accessoires et les décors de ces photographies n’avaient rien à voir avec ceux du spectacle dont elles étaient censées garder la trace. Seuls les costumes étaient ceux de la pièce.

   

 L’invention de la poudre éclair et en en 1925, celle du flash changent considérablement la photographie de théâtre. Désormais les photographes peuvent aller plus facilement sur les lieux. Ils peuvent prendre plusieurs acteurs ensemble et le décor est celui du spectacle. Mais ce n’est qu’en 1945 que la photographie s’intéressera à la mise en scène à proprement parler.

En effet, il existe très peu de photographies de mises en scène de cette époque. Boyer a photographié une scène de La Ville morte de D’Annunzio avec son décor original. C’est un témoignage rare à l’époque de la photographie de scène. 

 

 Selon une expression de Chantal Meyer-Plantureux, la photographie de théâtre est la « mémoire de l’éphémère. » Dans L’Art du théâtre, Sarah Bernhardt évoque cette notion d’éphémère vis-à-vis du théâtre. Elle compare l’auteur et l’acteur de théâtre : « son œuvre, lancée par nous, va, s’élevant plus haut, planant dans l’infini du temps. Mais nous notre œuvre terminée, la gloire ne dépasse pas notre vie, et souvent elle meurt avant nous. » (p 200) Cette conscience de la mort et la lutte contre l’oubli qu’elle engendre –« Ah que je voudrais savoir quand on meurt pour qui on meurt » écrit Sarah Bernhardt[3], Cocteau l’a ressenti et définit ainsi les monstres sacrés : « Ces étoiles du ciel de paris, ces monstres sacrés (lieux ou personnes), j’ai souvent été frappé par ceci que leur apparence originale, ce qui les distinguait des autres, ce qui leur donnait du relief, les plaçait en vedette, provenait moins d’une recherche de se singulariser que d’une lutte contre la mort et que cette lutte pathétique les grandissait, créait entre eux et de simples caricatures, la même différence qu’entre ce monsieur qui se promènerait à petits pas avec un parasol japonais à la main et un acrobate qui exécuterait ces mêmes pas et brandirait ce même parasol sur la corde raide. »[4] C’est donc la lutte contre la mort qui entraînerait cette chasse à l’image et ce rapport à la photographie flagrant avec Sarah Bernhardt. Cependant comme le théorise Barthes dans La Chambre claire, la photographie ne fait que renforcer ce rapport à la mort puisqu’elle est la trace de ce qui a été. En regardant une photographie ancienne on sait que ce qui est là a été et par conséquent n’est plus. En attestant de la vie, la photographie atteste également de la mort : « car l’immobilité de la photographie est comme le résultat d’une confusion perverse entre les deux concepts : le Réel et le Vivant : en attestant que l’objet a été réel, elle induit subrepticement à croire qu’il est vivant, à cause de ce leurre qui nous fait attribuer au Réel une valeur absolument supérieure, comme éternelle, mais en déportant ce réel vers le passé (« ça a été »), elle suggère qu’il est déjà mort. »[5] Ce rapport à la mort dans la photographie, Barthes le rapproche du théâtre : « Mais si la photographie me parait plus proche du Théâtre c’est à travers un relais singulier (peut-être suis-je le seul à le voir) : la Mort […] Si vivante qu’on s’efforce de la concevoir (et toute cette rage à faire vivant ne porte peut-être que la dénégation mythique d’un malaise de mort). La photographie est un théâtre primitif, comme un tableau vivant, la figuration de la face immobile et gardée sous laquelle nous voyons les morts. »[6] Ainsi pour Barthes, la photographie renvoie à un théâtre primitif extrêmement lié à la conscience de la mort et du divin. Or, il est intéressant de noter qu’un des premiers sens de « montres » est « qui avertit de la volonté des dieux ». Le monstre est donc une sorte de présage, illustration de la lutte de l’homme contre la mort et le temps, c'est-à-dire contre la destinée. Cette définition ne rappelle-t-elle pas un des grands principes de la tragédie antique, à savoir la fatalité ? Or, ce que les « monstres sacrés » ont apporté sur la scène, c’est justement un sens du tragique. C’est ce rapport au sacré qui les caractérise, celui qui renvoie à une lutte prodigieuse avec ce qui est au-delà de l’homme et qui se retrouve dans la photographie. Il s’agit de la volonté de s’échapper de la fuite logique du temps.

 Cette volonté de fixer l’instant de théâtre se retrouve chez Proust, lorsque le narrateur de La Recherche assiste à une représentation de Phèdre : « J’aurais voulu –pour pouvoir l’approfondir, pour tâcher d’y découvrir ce qu’elle avait de beau arrêter, immobiliser longtemps devant moi chaque intonation de l’artiste, chaque expression de sa physionomie[7] ». Cet impact de la photographie sur le théâtre est donc ici nettement visible. Vouloir s’échapper de la fuite logique du temps confère un autre rapport au théâtre. Sarah Bernhardt n’était-elle pas louée pour ses nombreuses morts ? Est-ce justement parce qu’elle avait si bien conscience de cette fatalité. Ainsi, la photographie en voulant nier le temps et donc la mort, la révèle au contraire, et le théâtre en ayant conscience de sa propre finitude se renouvelle sans cesse. En effet, l’acteur ne meurt pas réellement et renaît donc chaque soir pour mourir à nouveau le lendemain. En affirmant la mort, on affirme en même temps la vie. On retrouve là, une structure carnavalesque, duale et ambivalente, celle dont parle Bakhtine dans son ouvrage sur Rabelais. En effet, dans les rites carnavalesques qui sont en partie héritiers des rites païens, et renvoient donc eux aussi à un certain temps primitif, la mort et la vie sont intimement liées et la conscience de la mort n’anéantit pas celle-ci. Cette conscience de la vie en tant qu’un tout permet de vaincre la peur de la mort.

 

 

3- L’art du portrait

 Sarah Bernhardt a inspiré de nombreux artistes, notamment ceux du courant préraphaélite ainsi que les symbolistes. Elle était pour eux l’image de la femme idéale, svelte, longiligne. On dit qu’elle a été l’inspiratrice de la ligne serpentine.

 Clairin, admirateur de Sarah Bernhardt multiplie les portraits de son idole, le plus connu étant daté de 1895. Il eût un grand succès au salon de 1896 dans lequel se trouvait un autre portrait de l’actrice réalisé par Louise Abbéma. Celle-ci l’admirait également beaucoup. Nombreux sont les peintres qui lui ont rendu hommage. On trouve : Coraboeuf, Gustave Doré, Rita Potron, Toulouse-Lautrec, Bastien-Lepage, Aubrey Beardsley et Gustave Moreau. On trouve des dessins à l’encre, des peintures, sans compter les photographies mais nous y reviendrons. Mais l’artiste qui, grâce à elle, eût le plus de succès est Alphonse Mucha. On peut dire qu’il est étroitement lié au succès artistique de Sarah Bernhardt. Il dessina les affiches de Gismonda en 1894, La Dame aux camélias en 1895, Lorenzaccio en 1896, La Samaritaine en 1897, ou encore Médée, La Tosca, Théodora, Hamlet. Artiste de l’art nouveau, Mucha contribua a élargir l’imagerie de Sarah Bernhardt au sein du domaine public par le biais de l’affiche. Il réalisa même des affiches publicitaires avec le portrait de Sarah Bernhardt (biscuits LU).

 Je classerai également dans la catégorie des portraits, la photographie faite par Nadar en 1862, à sa sortie du conservatoire. L’actrice est uniquement vêtue d’un drapé et tourne le regard vers le haut, à gauche, dans le sens opposé des icônes religieuses. Selon Georges Banu, la parenté entre l’extase mystique des saintes et l’érotisme des comédiennes est confirmé avec Sarah Bernhardt. On le voit dans d’autres photographies, de Phèdre, notamment. En voyant cette photographie nous avons vraiment la sensation d’être face à la trace d’un face à face. Nous pouvons mettre dans cette catégorie du portrait toutes les photographies qui ne sont pas des photographies de théâtre mais il faut différencier, celles qui sont des réels portraits de celles qui sont des portraits d’apparat, où l’actrice ne veut que se mettre en avant, elle ou ses vêtements. C’est le cas des photographies qui présentent Sarah Bernhardt vêtue de telle ou telle façon. Alors qu’est-ce qu’un portrait ? Et qu’est-ce qui change dans la perception du visage à propos des photographies que l’on décide de ne pas considérer comme des portraits? C’est ce que nous allons interroger maintenant.

 

 Nous avons évoqué une photographie de Sarah Bernhardt par Nadar. Il s’agit du photographe connu, Félix Tournachon. Mais la plupart des photographies de Sarah Bernhardt ont été prises par Paul Nadar son fils. Celui-ci était plus sujet au cérémonial que son père et ses photographies sont moins essentielles au sens propre du terme.

 J’ai différencié dans mon analyse les photographies de théâtre et les portraits de ville. Jean-Pierre Banu, dans son livre intitulé Sarah Bernhardt : sculptures de l’éphémère, insiste lui aussi, beaucoup sur cette distinction. En effet, comme nous l’avons dit tout à l’heure le but n’est pas le même. Dans les photographies de théâtre, ce n’est pas Sarah Bernhardt qui est photographiée mais Phèdre ou la Dame aux camélias. Le but n’est pas de capter une intériorité mais d’immortaliser un moment du rôle. Pourtant, on peut trouver deux sortes de portraits de ce type, les uns présentent l’actrice dans des attitudes, elle ne regarde pas l’objectif ; sur les autres elle regarde le spectateur et semble vouloir nous révéler quelque chose de son intériorité. Les premiers semblent être une manifestation de l’intimité, presque obscène tant elle est démontrée, les autres plus humbles semblent vouloir dire quelque chose.

 Voici une citation de Félix Nadar : « Ce qui s’apprend encore beaucoup moins, c’est l’intelligence morale de votre sujet, c’est ce tact rapide qui vous met en communion avec le modèle, vous le fait juger et diriger vers ses habitudes, dans ses idées, selon son caractère, et vous permet de donner, non pas banalement et au hasard, une indifférente reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire, mais la ressemblance la plus familière et la plus favorable, la ressemblance intime. »[8]Ainsi ce qui définit le portrait est la trace dans la photographie de la relation qui unit le modèle et l’artiste. Le regard de ce dernier est indispensable. Or dans la plupart des photographies de théâtre, cette relation n’est pas visible tant la volonté de se montrer du modèle est importante. Il n’y a plus de place en face pour celui qui reçoit. Dans ce que j’ai appelé les portraits d’apparat, c’est la même chose. Cette notion d’apparat est empruntée à Jean-Luc Nancy qui traite de cette question de définition du portrait dans Le Regard du portrait : « Un portrait selon la définition ou la description commune est la représentation d’une personne considérée pour elle-même. »[9] Or dans les photographies de théâtre l’acteur n’est  pas considéré pour lui-même, mais pour lui-même jouant tel ou tel rôle. La photographie de théâtre ne sert qu’à capter l’instant, à faire durer dans le temps ce qui est voué à mourir, c'est-à-dire la représentation théâtrale. Selon Jean-Luc Nancy, la figure doit être en elle-même la fin de la représentation, la signification totale mais non fermée de celle-ci. Certaines photographies de théâtre pourtant, semblent être plus que des traces de quelque chose qui a existé. Jean-Luc Nancy dit que « le portrait n’est artistique que s’il est un portrait de l’âme ou de l’intériorité, non pas plutôt que de l’apparence extérieure mais à sa place même. » (p. 25) Ainsi ce qui nous empêche de voir la personne dans les photographies de théâtre, c’est que l’acteur est trop présent dans son extériorité. L’apparence compte alors plus que l’intériorité. Jean-Luc Nancy reprend l’assertion de Hegel qui dit que la peinture est le point d’équilibre entre intériorité et extériorité.

 Le portrait selon Jean-Luc Nancy ne peint un sujet qu’en engageant lui-même un rapport de sujet à un autre sujet (p. 33-34). Le portrait est l’exécution de la subjectivité ou de l’être-soi en tant que tel, c'est-à-dire qu’il est une mise en œuvre de notre exposition. Barthes dit à ce sujet que, pour lui, l’essence de la photographie n’est pas l’instantané mais la pose, car c’est par elle que le sujet se révèle. Pour Jean-Luc Nancy, tout portrait est un autoportrait. En effet, il accomplit le rapport à soi. Il s’agit du rapport avec l’absence du visage propre, c'est-à-dire ce qu’il appelle « son être-en-avant-de-soi ». Cela pose la question du danger de l’exposition et du fait que l’on ne se possède pas réellement. Pour lui, le portrait renvoie donc « à cette région de la présence absente que l’on nommait autrefois le sacré » (p. 56). Le divin ou le sacré est le creusement à travers lequel se fait le contact avec l’intime. Pour cela il faut savoir se donner, tout en gardant le contact avec soi même. Dans certaines photographies, la volonté des acteurs de se montrer est trop forte, elle cache l’intériorité du sujet.

 Ce rapport entre intériorité et extériorité est, je pense ce qui a fait cette énorme diffusion des portraits de Sarah Bernhardt. La volonté des spectateurs était de capter l’essence réelle de la personne et pas l’actrice dans un rôle, qui lui faisait comme un masque. Sarah Bernhardt parle sans arrêt de ses facultés d’extériorisation et si elle est si bouleversante c’est que tout ce qu’elle exprime, elle le vit au-dedans d’elle-même. Mais il semble que le public de cette époque ait eu envie de saisir quelque chose de plus profond, de moins évident, sans aucune volonté de représentation, un face-à-face réel en quelque sorte. Il s’agit toujours d’un rapport acteur-spectateur mais plus intime.



[1] Chantal Meyer-Plantureux, La photographie de théâtre ou la mémoire de l’éphémère, Paris Audiovisuel, 1992, « Chapitre 1 : le photographe de théâtre avant 1945 »

[2] Philippe Néagu, L’Atelier Nadar et l’art lyrique, catalogue d’exposition, 1975-76, cité par Chantal Meyer-Plantureux, in  La photographie de théâtre ou la mémoire de l’éphémère, Paris Audiovisuel, 1992, Chapitre 1

[3] Sarah Bernhardt, L’Art du théâtre, Edition L’Harmattan, 1993, p. 201

[4] Jean Cocteau, Portraits-souvenirs, Les Cahiers rouges, Editions Grasset et Fasquelle, 2003, p.16

[5] Roland Barthes, La Chambre claire, Notes sur la photographie, Les Cahiers du cinéma, Editions du Seuil, Paris, 1980, p. 123

[6] id, p.56

[7] Marcel Proust, A la Recherche du temps perdu, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Edition présentée par Pierre-Louis Rey, Folio classique-Gallimard, 1988, p. 20-21

[8] cité par Anne Alligorides, « Sarah Bernhardt et l’atelier Nadar », in Georges Banu, Sarah Bernhardt, sculptures de l’éphémère, Caisse nationale des monuments historiques, 1995

[9] Jean Luc Nancy, Le Regard du portrait, Editions Galilée, 2000, p 11

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